Il commence par rendre la durée de vie totalement aléatoire.
Des hommes et des femmes meurent avant les quatre vingt ans habituels. Ainsi, tous sont choqués de voir des hommes mourir dans la force de l’âge, des enfants s’éteindre peu après leur naissance. Mais la mort n’est encore qu’un arrêt indolore du souffle.
Les femmes qui perdent leurs nouveaux-nés pleurent. Ces premières larmes provoquent chez tous un immense effroi. La tristesse prend le pas sur la liesse générale.
Se posant des questions sur ces morts prématurées, les êtres humains n’en déduisent pas pour autant l’existence d’un être suprême : il leur en faut plus pour faire naître en eux la foi. Qu’importe : Dieu a les moyens et le temps de pousser la souffrance à son comble!
Avant de créer les maladies, qui vont montrer aux hommes qu’ils ne sont que des êtres misérables, Le démiurge jette sur Sa créature quelques nouveaux défauts. L’envie, tout d’abord, vient affecter ceux qui perdent leurs proches et qui voient les autres ne pas mourir aussi tôt. Des rivalités se mettent en place, créant un climat pour le moins suspicieux.
Dieu jubile, oubliant presque son ennui quotidien. Dieu n’aime pas rigoler.
Cela ne suffit toujours pas : les hommes continuent de faire la fête, de rire, mus par cette impressionnante force de vivre qui dépasse le malheur qui les atteint.
La guerre entre Dieu et les hommes commence. Il veut les forcer à prendre conscience de Sa toute puissance : rien ne peut L’arrêter dans cette quête qui, pour être divine, n’en demeure pas moins diabolique.
Quelques maladies apparaissent, renforçant une incompréhension générale déjà bien installée.
Une sorte de croyance se met peu à peu en place dans l’esprit de ceux qui perdent leurs proches avant l’heure : une Foi, minuscule, vacillante, s’immisce dans la pensée commune.
Dieu commence à gagner la partie.
Mais le Tout Puissant est, dans un premier temps, pris à son propre piège : plus l’homme découvre le malheur, plus il se perd dans des fêtes rieuses et musicales, sans pour autant prendre conscience que c’est un être suprême qui lui inflige tous ces maux.
Comme va l’écrire quelques millénaires plus tard un poète: Les plus désespérés sont les chants les plus beaux/Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.
Proportionnellement à la souffrance qu’il découvre, la musique de l’homme se fait de plus en plus belle, de plus en plus touchante, allant de la frénésie allègre à la mélancolie désormais inévitable.
Dieu vient de créer la mélancolie et l’homme s’en sert pour former une musique divine.
Les fêtes deviennent de véritables transes, au cours desquelles chaque être humain semble perdre conscience de sa nature mortelle. En dansant, en peignant, écrivant, ou jouant de la musique; bref en créant, l’homme dépasse Dieu. Ce Dernier ne semble pas s’en accommoder et rumine trivialement une réponse à la hauteur de cet affront.
La joie, malgré la peur, malgré la souffrance, s’accrochait à l’homme comme un naufragé à sa planche.