vendredi 30 janvier 2009

Troisième étape

Les choses se gâtèrent pour plusieurs raisons, inhérentes à l’humain, inhérentes à Dieu.

Si la femme n’éprouvait pas un sentiment de supériorité mal placée lorsqu’elle tombait enceinte, le cours des choses fut profondément chamboulé lorsque les hommes comprirent qu’ils avaient également quelque implication dans cet acte magique qui consiste à donner la vie. Observant les événements, ils prirent conscience de leur importance dans ce phénomène : la femme ne donne naissance que si elle s'est accouplée avec un homme.

Ce constat signa le début d’un déséquilibre latent. Tout le respect que l’homme manifestait à la femme pendant sa grossesse tomba en désuétude et n’avait plus de raison d’être.


L’harmonie générale prend un coup dans l’aile et l’homme, vaniteux comme son Père, se prend pour un dieu, rabaissant la femme au rang de créature secondaire qui ne sert qu’à porter le fruit de sa géniale semence.

Dieu est surpris, touché par ce manège et laisse les choses suivre leur cours, toujours pris par ce besoin de diviser pour mieux régner.

Malgré ces inégalités qui se mettent en place, la vie continue sous le regard du Démiurge, suivant un cycle immuable déterminé par Lui.

La souffrance n’existe toujours pas et le Créateur, même s’Il est fort enchanté par Ses « enfants », nage toujours dans un ennui incommensurable.


Dieu n’aime pas rigoler.


Malheureusement pour notre monde, Dieu sort de son ennui pour tomber dans la colère, une colère divine qui est à l’origine de la triste condition humaine.

Vaniteux, Il ne supporte pas tout ce qui Lui est supérieur ou inaccessible. Et l’être humain commet l’erreur suprême.

Le courroux de Dieu apparaît alors par plusieurs étapes, comme les strates successives d’une inéluctable colère naissant d’une profonde frustration.

Il est tout d’abord fortement embêté lorsqu’Il comprend que l’être humain ignore l’existence de son Créateur. L’homme mène sa vie sans se soucier de savoir d’où il vient. Comme les animaux, il vit sans trop savoir pourquoi. Les événements naturels comme les orages, les fortes chaleurs, les étoiles filantes, les marées, n’ont pour l’homme rien de divin ou de magique : ils font tout simplement partie du décor. Outre cette indifférence qui remet en question la toute puissance divine, l’homme ne connaît pas la peur, pas même celle de la mort. Il comprend en effet rapidement que la mort n’est qu’une disparition physique mais sait également que les esprits des morts accompagnent les vivants, ne serait-ce que par l’entremise du processus de reproduction. Un être naît quand un autre disparaît: il n’y a là rien de dramatique.

Même si les hommes connaissent des blessures dues à des chutes ou des agressions d’animaux, même si le sang coule parfois, la douleur sur cette terre est avant tout physique et n’entache pas gravement l’âme de l’être humain, qui garde une innocence et une insouciance absolues. Les plaies physiques sont rapidement soignées, grâce à un savoir médicinal exceptionnel.

Cette insouciance affecte le Tout puissant : Il veut que sa créature ait, sinon peur de Lui, au moins conscience de Son existence.

Cependant c'est un autre comportement qui va profondément L’énerver et décupler Sa jalousie.


jeudi 22 janvier 2009

Seconde étape

Puis, condensant toutes Ses capacités créatrices dans un ultime geste de génie, Dieu créa un singe amélioré : l’Homme.

Contrairement à ce que veut croire le (souvent stupide) sens commun, Dieu créa la femme avant l’homme et prit un plaisir inqualifiable à façonner un être qui Lui ressemblait autant.


Cependant lorsqu’Il crée la femme, Dieu prend peur : il constate qu’Il vient de donner la vie à un être qui Le dépasse ! Pris de panique, Il S’empresse de la détruire. Il revoit ses exigences à la baisse et crée l'homme, histoire de dominer la seconde espèce de femmes qui allait voir le jour. Afin de diviser pour mieux régner il a décidé de créer la plupart des espèces en couple.

L’homme qui naît ainsi est presque parfait : seuls quelques défauts lui sont attribués. En premier lieu la mortalité, pour que Dieu garde une certaine maîtrise de Sa créature.

L’homme s’ennuie autant que Le Démiurge mais cette sensation disparaît dès que sa nouvelle compagne apparait.

Le Créateur, fatigué, ravi, se repose et décide de ne plus rien créer : Il veut passer son temps à observer le curieux épanouissement de Sa nouvelle bestiole. Le spectacle ne Le déçoit pas.

Les capacités intellectuelles de l’homme et de la femme sont d’une nouvelle nature. Non seulement ils ont conscience d’eux-mêmes, mais ils présentent également une palette impressionnante de sentiments, de sensations, associés à une mémoire jusque là inhabituelle.


Quelques dizaines d’hommes et de femmes organisèrent donc peu à peu leur vie dans le monde que Dieu venait de créer.

A l’origine les hommes n’étaient pas foncièrement mauvais : juste vaniteux –comme leur père, et parfois indolents. La notion de mal leur était jusqu’alors totalement inconnue. Ils étaient tristes quand l’un des leurs mourrait, mais la mort elle aussi n’était qu’une disparition non douloureuse : les êtres s’éteignaient, tous au même âge, comme une flamme sur laquelle on souffle, sans maladie, sans misère et sans douleur. Juste un arrêt de la respiration, qui survenait à l’âge de quatre vingt ans (Dieu a estimé que c’était là la durée correcte de la vie, bien que la notion d’année n'ait pas été encore réellement déterminée.)


Quoiqu’elles soient inférieures à la première femme créée, les femelles sont considérées par les mâles comme des divinités, des êtres à part, du fait de leur capacité à donner la vie. Les premiers hommes en effet ne font pas immédiatement le rapprochement entre l’acte sexuel et la procréation. Lorsque le ventre d’une femme s’arrondit, annonçant la venue au monde d’un nouvel être, la communauté entière est aux petits soins de la génitrice, la couvrant d’attentions quotidiennes. Les femmes qui tombent enceintes sont considérées comme des reines.

Jamais le terme d’harmonie n’a eu une expression aussi réelle. Chacun vit en développant ses capacités physiques, intellectuelles ou artistiques, les partageant, les complétant avec ses congénères sans autre désir que celui d’un bonheur commun.


Dieu se prend d’affection pour Sa créature, plus qu’Il ne l’a fait auparavant. Ce qu’Il préfère chez l’être humain, hormis ses étonnantes capacités de raisonnement, est le jeu de séduction auquel s’adonne les couples. A la différence des animaux, les humains ne procèdent pas à l’acte sexuel dans un unique et trivial instinct de survie, mais par réel plaisir. Il remarque également que les mâles peuvent aimer d’autres mâles, il en va de même chez les femmes. Chaque fois qu’un homme ou une femme tombe amoureux, le Démiurge verse une larme.

En observant l’Homme, Dieu découvre l’amour.

La passion qui affecte hommes et femmes au nom de ce sentiment Le rend presque jaloux de Sa créature mais Il trouve cela tellement agréable à regarder qu’il ravale Sa vanité.


jeudi 15 janvier 2009

Première étape

Dieu créa les mers, puis les terres. L’éther, quant à lui, était là bien avant.

Il crée la végétation, de la plus sèche à la plus luxuriante, afin de colorer ce morne monde.
Il crée la vie animale: d’abord dans l’eau, puis sur terre, désireux de voir des mouvements plus originaux que ceux des océans et des cieux (les nuages le lassent). Dieu ne fait pas cela par amusement : Il ne connaît pas cet état.
Tous les animaux vivent sans trop savoir pourquoi. Ils sont Sa création mais ne Lui ressemblent pas : Il les crée mortels. Pris par la flemme de fabriquer chaque jour de nouveaux êtres, Il leur confère un dispositif de reproduction assez basique. Les animaux ne se reproduisent que par nécessité, à des périodes bien précises, choisies par Lui seul. Les parades et autres fioritures de l'accouplement ne Le divertissent pas plus que ça. Dieu n’existe et ne crée que par fierté. Peut-être même grâce à un brin de mégalomanie. C’est assez décevant mais c’est ainsi.

Dieu crée mais s’ennuie. Dieu n’aime pas rigoler.

Il s’incarne dans tout ce qu’Il conçoit mais, après un émerveillement primaire lié à la surprise de Sa création, Il sombre dans un ennui chaque fois plus profond.

Le Démiurge était toutefois fier de Son œuvre, la contemplait avec une bienveillance dénuée de toute humilité. Car Dieu est vaniteux : on ne crée pas l’univers sans avoir l’âme d’un artiste fier de son ouvrage, narcissique et égoïste.
Pris d’un élan démiurgique autant que dément, Il se mit en tête de créer un être plus complexe que l’animal; un être plus proche de Lui. Un être avec une âme un peu plus évoluée que celle des animaux. Un être fier, digne fils de son Père.
Alors Dieu crée un animal amélioré, plus diversifié dans ses mouvements et ses comportements : le singe. Ce dernier est surprenant par la supériorité « intellectuelle » qu’il présente par rapport aux autres races.
Le singe est drôle : sa curiosité, son habileté et ses capacités d’adaptation le rendent attachant ; quand Il regarde le singe, Dieu a l’impression de Se voir.
L’animal se démarque aussi des autres par la conscience qu’il a de lui-même et sa façon de communiquer. Les parades amoureuses et les grimaces que ce nouvel être est capable de faire provoquent chez le Démiurge un sentiment de satisfaction supérieur à l’habitude.
Il S’amuse presque.

Néanmoins Il trouvait la bestiole un peu stupide, un peu trop bestiale, pas assez divine en un mot. Amusante un certain temps mais lassante à long terme. Il touchait du doigt la perfection mais n’était pas pleinement satisfait.

Le Père du monde se reposa donc quelques temps en observant le singe et en songeant à Sa future création. Il savait qu'elle serait Sa dernière, Il ne voulait pas la rater.